Tuesday, October 14, 2008

A l'écoute de l'Heure de l'Art Haïtien

Notre excellent confrère, le “Nouvelliste”, publiait dernièrement une lettre dans laquelle un de ses abonnés priait notre ami Clément Benoît de faire attention à la critique, à celle d’outre-mer surtout, impitoyable dès qu’il s’agit d’art.

A l’intention de ceux qui pourraient encore l’ignorer, il est bon d’apprendre que Clément Benoît, avec le concours de quelques musiciens a pris pour tâche de faire connaître la musique haïtienne, tant primitive ou folklorique que savante ou composée. L’entreprise pour être louable n’est point exemple d’écueils. Et il arrive, en effet, qu’on n’aime pas toujours notre musique. C’est là un grand dommage; car, chaque fois qu’il en est malheureusement ainsi, il semble que ces Messieurs manquent leur but et desservent plutôt, qu’ils ne servent l’art haïtien. Moi je souhaite le plein succès de l’Heure de l’Art Haïtien et voici ce que j’en dis.

L’idée est excellente. Mais, plus elle est excellente, plus l’on devrait y attacher de l’importance, afin qu’elle triomphe.

En ce qui concerne les auditions musicales de l’Heure de l’Art Haïtien, et puisqu’il s’agit, le plus souvent de pièces tirées – dit-on – de notre folklore, j’estime qu’un travail préliminaire s’impose. Recueillir nos chants vaudouesques, nos airs carnavalesques et autres airs primitifs ou populaire ne suffit pas. Il faut encore les situer dans le temps (cela est nécessaire, l’esprit d’une époque n’étant pas celui d’une autre; par exemple, nos mérengués populaires actuelles ne présentent nullement la même facture que celles d’il y a 40 ans); en montrer la malice par un petit commentaire – quand il y a lieu – et les faire chanter par des personnes qui ont appris à chanter (le chœur des élèves de Mme Fussman-Mathon) ou exécuter par un bon orchestre (l’orchestre d’Arthur Duroseau dont l’éloge n’est plus à faire.)

Rien n’est plus attrayant, en effet, que l’interprétation classique – c’est à dire selon les règles de l’art – d’une musique primitive. Hier encore, et c’est ce qui m’a dictée ma chronique, j’en faisais l’expérience à l’audition de “Sobo”, au cours de “l’Heure Française” de la N.B.C., New York. “Sobo” n’est pas du folklore, puisque l’auteur, qui n’est autre que notre ami Ludovic Lamothe, est connu, mais sur une imitation de notre folklore, Lamothe, à l’aide de quelques notes qui forment les éléments de notre gamme primitive, invente deux motifs, les cadences selon le rythme du bacca et du cata et obtient une imitation de nos airs vaudouesques que la belle voix et l’art de cette fine chanteuse qu’est Mme Sarah Gorby achèvent de rendre audible. Je ne conçois pas autrement la manière de faire connaître et d’admirer notre musique,qu’elle soit primitive ou savante.

Marcel Salnave
Haïti-Journal 28 octobre 1940

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