Tuesday, October 21, 2008

Le Récital Basil Codlban

Que j’avais raison, dans mon appréciation d’avant hier sur le pianiste Basil Codolban de laisser le dernier mot au public! Le public! C’est lui le grand juge en toute matière, et particulièrement en matière de musique où le coeur, plus que la science et que l’intelligence, décide souverainement. On ne me fera jamais admettre que, pour apprécier le talent d’un artiste musicien, il faille soit même être musicien. Les meilleurs critiques de l’art n’ont pas toujours été des praticiens, et Georges Sand a montré que le coeur pouvait être aussi bon juge des sons que l’esprit le mieux façonné à l’art de Mozart ou de Chopin. Et, probablement, il en est ainsi de tout être qui, grâce à une immense sensibilité, arriverait à embrasser le monde extérieur. J’entends l’être objectif qui ne crée pas et qui mis en présence de l’œuvre d’art, serait capable d’en saisir la beauté et les imperfections. Théophile Gautier, par exemple, fut encore plus habile à critiquer qu’à créer pour avoir été doué d’une grande objectivité qui lui permettait d’entrevoir les subtilités échappant aux auteurs eux-mêmes.

Je suis enclin à croire que l’auditoire a un semblable pouvoir de saisir les nuances artistiques dont, il est vrai – là-dessus je ne me fais nulle illusion – chacun n’aura plus tout à l’heure aucun soupçon, dès qu’il se retrouvera isolé. Autant dire que le public est un grand critique et que Georges Sand et Théophile Gautier – puisque ce sont eux qui ont occasionné cette digression – étaient des cœurs immenses qui avaient à eux seuls le mérite et la souveraineté de la foule.

Mais, cela nous aide à conclure, en même temps, que le public est le juge par excellence en matière d’art. Et, si telle est la vérité, le pianiste roumain, Monsieur Codolban, qui a donné son premier récital au “Rex”, hier soir, peut s’enorgueillir d’avoir recueilli un légitime succès octroyé par un public tellement enthousiasmé que l’artiste a été obligé d’allonger le programme. Et n’est-ce pas encore que je ne me trompais pas, l’autre jour, en disant que Codolban avait des qualités pouvant lui assurer des applaudissements sur notre scène? Il a joué, en effet, avec brio. Son jeu est clair et délicat, mais pas toujours heureusement nuancé – à mon humble avis, du moins. Par exemple, s’il m’a enchanté dans l’exécution de la Fantaisie – Impromptu, j’avouerai que je n’ai pas beaucoup aimé l’expression qu’il a mise dans la valse en do dièse mineur de Chopin. Le “piu mosso” se joue à la répétition du motif, pianissimo et non assez fort, comme il a été exécuté. C’est comme un écho des quinze précédentes mesures.

M. Codolban, dans le prélude No2 de Rachmaninoff, n’aborde pas “l’Agitato” de plein pied. Il y entre graduellement et dans un style qui ne me semble pas traduire très nettement le crépitement des flammes (on sait que cette magnifique pièce du célèbre pianiste-compositeur russe a été inspirée de l’historique et tragique incendie de Moscou lors de la campagne napoléonienne.) Mais, quel reproche vraiment sérieux pourrait-on lui faire à ce sujet? On est ici sur le terrain de l’interprétation pure où l’opinion des autres ne prévaut pas. C’est pourquoi il est toujours bon d’aller entendre soi-même les artistes; et de ne pas se fier au jugement de la critique. Ce qui pourrait mettre en garde, c’est si je disais que Codolban ne possède pas des qualités techniques. Or sous ce rapport, il est maître du clavier. Force, souplesse, pédale, il met tout cela au service d’un jeu serré, sans trou et brillant. Il faut aller entendre le pianiste roumain. Il fait passer des instants agréables en compagnie de Chopin, Debussy, Litz. Il faut aller l’entendre aussi dans ses propres compositions où il a le bonheur d’être original. Il faut aller l’entendre enfin, dans Beethoven qu’il interprète avec une correction tout bonnement classique.

Marcel Salnave
Haïti-Journal 7 mars1941

No comments: