Wednesday, October 22, 2008

Le pianiste-compositeur Léo Cordonna

Au cours d’une séance qu’il a eu la délicate pensée d’offrir aux journalistes, nous avons entendu le pianiste Léo Cardonna dans des pièces de Liszt, Chopin, de Falla, Debussy et aussi dans quelques unes de ses propres compositions. Ce pianiste qui est actuellement à Port-au-Prince, donne son unique récital ce soir, à 8h:30, au “Rex”, sous le haut patronage de son Exc. Monsieur Vincent, Président de la République. Ce nous sera une très grande joie, comme à nos confrères de la presse et à tous les autres invités qui assistaient à cette audition spéciale, de l’aller applaudir encore; car, Léo Cordonna est un de ces musiciens qu’on n’entend pas qu’une fois.

Une alliance de force et de douceur et des effets de pédale toujours réussis, voilà, en traits rapides, les caractéristiques de son jeu. Quelle maîtrise, par surcroît! A la vérité, il serait vain d’en parler – on n’est pas artiste tant qu’on n’a pas vaincu son instrument – si certains autres n’avaient pas eu déjà des défaillances regrettables sur notre scène...

Mais, Cordonna est doué à plus d’un point de vue. Ses compositions sont marquées d’une grande originalité. On prendrait un vif plaisir à l’audition de son Ballet, “Le cheval Attila”, drame poignant inspiré par la nostalgie de la paix et la hantise de la guerre. Il entre une bonne part de philosophie dans cette œuvre où l’auteur semble avoir tiré profit de la conception Wagnérienne du drame musical. Cordonna part, en effet, du monde sensible pour aller aux idées. La trame est menée avec hardiesse, du Prélude – où l’on perçoit nettement, mêlées aux bruits et aux préparatifs de guerre à l’animation infernale des usines, les plaintes et les vociférations de l’Humanité – à l’Apothéose (l’apothéose du soldat inconnu), sorte de paraphrase de la Marseillaise exaltant les nobles idées républicaines.

Les danses se succèdent jusqu’à huit dans le rythme castillan, souvent troublantes, tragiques, quelquefois gaies, sautillantes, comme celle No5 “Le charmeur de serpents”, rappelant à ceux qui l’ont vue dans ses exhibitions l’an dernier au “Rex”, la délicieuse danseuse Madrilène, Ana-Maria.

Bien que “Le cheval Attila” contienne des pages admirables et témoigne d’efforts consciencieux nous ne sommes pas sûrs de dire que l’œuvre est parfaite. Il nous faudrait, pour opiner sans réserve, un autre titre que celui de journaliste. Mais, nous pouvons tout au moins espérer que le ballet de Léo Cordonna ne sera pas mal reçu dans les grands centres.

Par contre, “Clair de lune sur la mer” est une composition sur laquelle il n’est pas permis de se tromper. Tout le monde l’aimera. Nous souhaitons que l’auteur la joue à son récital, cette pièce qui ne cède en rien à tout ce que notre public a entendu de bonne musique.

Allez au concert de ce soir. Allez-y en foule. Comme l’a dit Monsieur Lamothe lui-même: “On a rarement eu en Haïti un pianiste de l’envergure de Léo Cordonna.”

P.S Nous nous en voudrions de ne pas adresser nos félicitations et nos remerciements aux époux Emile Miot, dont l’exquise urbanité n’a pas moins contribué à rendre agréable au possible les deux heures passées, dans leurs salons, en compagnie du génial musicien espagnol.

Marcel Salnave
Haïti-Journal 6 avril 1940

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